Présentation

Les pidgins et les créoles ont en commun la propriété de devoir leur lexique à des langues donatrices (les lexificateurs) tout en étant morphosyntaxiquement (et sémantiquement, et pragmatiquement) distincts de celles-ci, de telle sorte que l'intercompréhension mutuelle entre locuteurs du pidgin ou du créole et locuteurs du lexificateur n'est presque jamais assurée. Même si une telle caractérisation n'est pas tout à fait exacte, les pidgins sont traditionellement distingués des créoles en ce que les premiers sont seulement de langues véhiculaires, alors que les seconds sont le vernaculaire de communautés stables dans l'espace et dans le temps. Les pidgins et les créoles peuvent être étudiés en parallèle ou simultanément, et ce de deux perspectives: pour eux-mêmes, ou pour les questions qu'ils posent à la linguistique théorique ou historique, ainsi qu'à la sociolinguistique et aux études culturelles. Dans les années récentes, la prise de conscience du fait que beaucoup de pidgins et de créoles sont des langues en danger ont conféré à leur étude un caractère d'urgence.
 
 
Depuis qu'ils sont étudiés (c'est à dire depuis la fin du XIXe siècle) les pidgins et les créoles ont donné lieu à deux questions de recherche centrales : Pourquoi sont-ils en apparence différents de leurs lexifcateurs ? Et pourquoi sont-ils en apparence similaires entre eux ? Ces questions soulèvent des problèmes de nature historique et typologique.
La divergence est surtout problématique à cause d'un facteur temporel: elle a été rapide en comparaison avec les changements linguistiques « ordinaires ». La convergence typologique, dans la mesure où elle est démontrable, est problématique à cause de la dispersion historique et géographique des pidgins et des créoles. De ce fait, doit-on construire des modèles et des théories spécifiques pour rendre compte d'un phénomène d'émergence qui se caractérise par sa rapidité et la profondeur des restructurations grammaticales mises en jeu ? Ou les théories généralistes du changement linguistique et de l'acquisition (langue première ou seconde) peuvent-elles rendre compte du phénomène de manière satisfaisante ?

Le fait même que ces questions se posent prouve, s'il est besoin, que l'étude des pidgins et des créoles est au cœur des sciences du langages. Peu de gens se risqueraient à nier la contribution cruciale que l'étude des ces langues, de leurs structures et de leur histoire a déjà fait à la résolution de bien des questions fondationnelles des sciences du langage.

L'étude des pidgins et des créoles est aujourd'hui mûre: il existe un corpus de concepts, de questions et d'orientations de recherches qui font consensus. En Europe en particulier, la plupart des chercheurs s'accordent à tenir  (a) que les théories généralistes de la formation des pidgins et des créoles sont essentiellemetn correctes ; en conséquence, (b) que l'étude des pidgins et des créoles ne saurait être séparée de l'étude des autres systèmes linguistiques, dont l'exploration croisée ou parallèle constitue le cœur des sciences du langage ; (c) que l'étude de tout pidgin ou créole en lui-même et pour lui-même est une activité tout aussi légitime que l'étude de tout autre langue, come le russe ou le hixkaryana ; (d) le fait que beaucoup de pidgins et de creoles soient des langues en danger confère une urgence supplémentaire à leur étude.

 
Le présent réseau s'appuie sur ce consensus pour encourager un niveau supérieur de coordination scientifique. Dans sa version renouvelée (2016-2020), il rassemble des spécialistes de France, d'Allemagne, des Pays-Bas, du Portugal, du Royaume Uni, de Haïti, de la République de Maurice et des Etats-Unis. Ils ont d'ores et déjà une longue expérience de travail en commun sur une base individuelle ou à travers des groupes de recherches plus ou moins informels. Un de ces groupes est le Groupe de Recherche sur les Grammaires créoles (GRGC), qui réunit des chercheurs français et hollandais pour des réunions ou journées d'études annuelles.
 
Le niveau de synergie existant au niveau de ces réseaux informels justifie, et même demande, l'établissement d'une structure plus formelle ayant les ressources suffisantes pour une coordination continue des efforts de recherche. Le présent Groupe de Recherche International a pour vocation de jouer ce rôle.